Note du directeur musical
Depuis sa création le 7 avril 1724, cette œuvre de proportions assez contenues s’impose bien au-delà des limites de ses séquences ordonnées de récitatifs, airs, accompagnati, ariosi et grands chœurs pour constituer un tout aussi cohérent que magnifique. Pour celui qui entame une sérieuse réflexion sur cet immense monument, il devient paradoxalement de plus en plus difficile de continuer à accepter le regret, souvent exprimé, pour le prétendu manque d’occasions pour Bach de se mesurer avec les enjeux de l’écriture de l’opéra.
Bien évidemment, ce ne serait que forcer la réalité que d’affirmer que la Passion selon Saint-Jean a été conçue pour être représentée scéniquement, mais son auteur a réalisé un exploit encore plus important pour défendre la force expressive de sa créature : il en a ancré la théâtralité tellement en profondeur dans l’écriture musicale que cette théâtralité en arrive jusqu’à s’imposer de pleine évidence en tant qu’élément constitutif majeur.
De plus, dans un contexte religieux qui se montrait contraire aux manifestations extérieures du théâtre musical profane, mais qui en réalité était complètement dépendant pour sa propre survie (et on peut imaginer quasiment jaloux !) de la valeur rhétorique de toute forme d’art de qualité. Sans oublier qu’à la période Baroque les hommes d’Église … étaient avant tout des hommes et qu’il leur était impossible d’être insensibles aux profonds besoins de la motione degli affetti.
Par conséquent, la direction que je sens devoir donner à cette production est tout d’abord celle de tourner nos regards d’interprètes vers l’intérieur le plus intime de l’œuvre, s’en abreuver comme à une source de vie pour la respecter et la servir dans ses intentions les plus secrètes.
En liaison étroite avec les priorités de la mise en scène, la deuxième phase de ce parcours sera adressée au public, afin qu’en communion avec les artistes, il puisse sentir que, malgré une thématique antique, malgré des moyens musicaux, des sonorités et des articulations du discours typiquement baroques, cette œuvre somptueuse garde intacte toute l’actualité et la force de ses valeurs expressives, qui la rendent encore absolument incontournable pour l’Homme contemporain.
